
Transformer des bureaux vacants en logements : que change concrètement la loi du 16 juin 2025
TRANSFORMER DES BUREAUX VACANTS EN LOGEMENTS : QUE CHANGE CONCRÈTEMENT LA LOI DU 16 JUIN 2025 ?
Face à la persistance d’une crise du logement dans les zones tendues et à l’explosion des surfaces de bureaux vacants, la loi n°2025-541 du 16 juin 2025 (loi Daubié) introduit de nouvelles solutions juridiques pour faciliter la reconversion des immeubles tertiaires en habitations. Dérogation au PLU, permis de construire réversible multi-destinations, assouplissement des règles de copropriété, nouvelles modalités de financement des équipements publics… : cette réforme ouvre des perspectives concrètes pour les promoteurs, bailleurs, marchands de biens et investisseurs immobiliers.
Décryptage des principaux enjeux et impacts de ce nouveau cadre juridique :
Contexte et objectifs de la réforme
Depuis la crise du Covid-19, le développement du télétravail a entraîné une chute de l’occupation des espaces de bureaux, tandis que la pénurie de logements s’est aggravée dans les zones tendues. En Île-de-France par exemple, on estimait début 2024 environ 5 millions de m² de bureaux vacants. Les pouvoirs publics entendent faire de la conversion de ces bureaux vacants en habitations un « levier concret » pour résorber la crise du logement dans les métropoles. C’est l’objectif de la proposition de loi déposée en décembre 2023 par le député Romain Daubié, qui visait à lever les freins juridiques à la transformation des immeubles tertiaires en logements. Après 18 mois de travaux parlementaires, le texte – communément appelé « loi Daubié » – a été définitivement adopté et promulgué le 16 juin 2025 n° 2025-541 (JO du 17 juin 2025. Il est entré en vigueur dès le 18 juin 2025.
Assouplir le PLU : dérogation de destination et résidence principale
La mesure phare de la loi consiste à permettre aux communes (ou intercommunalités compétentes) d’autoriser la transformation de locaux en logements en dérogeant aux règles du plan local d’urbanisme (PLU). Concrètement, l’autorité délivrant les permis (généralement le maire) peut, au cas par cas, accorder un changement de destination d’un bâtiment non-résidentiel en logements, y compris avec extension ou surélévation, même si le zonage du PLU n’autorisait pas initialement l’habitation à cet emplacement. Cela évite de devoir engager une procédure de modification du PLU, souvent longue et incertaine, avant de lancer le projet.
Cependant, la loi encadre strictement cette faculté dérogatoire. Un refus de la commune doit être motivé et ne peut intervenir qu’en présence de motifs précis : risques de nuisances pour les futurs habitants, accessibilité insuffisante du site par des transports alternatifs à l’automobile, incapacité des écoles du secteur à accueillir de nouveaux élèves, ou atteinte aux objectifs de mixité sociale et fonctionnelle du quartier. En outre, dans les zones agricoles ou naturelles, il faudra recueillir l’avis conforme des commissions départementales compétentes (par exemple la CDPENAF en zone agricole) avant d’accorder la dérogation. Un bâtiment agricole ne pourra par ailleurs changer d’usage que s’il n’est plus exploité depuis au moins vingt ans, afin de préserver les terres productives restantes.
Par ailleurs, la loi instaure une sorte de servitude d’usage résidentiel. Les communes peuvent délimiter, dans leur PLU, des secteurs où les logements issus de ces transformations devront obligatoirement être des résidences principales. Autrement dit, si un secteur est ainsi classé, un bureau converti en logement ne pourra pas être destiné à la location touristique ou à une résidence secondaire – il devra constituer la résidence effective et principale de ses occupants. Cette disposition vise à s’assurer que la reconversion du tertiaire profite en priorité au logement des habitants locaux, et non à des usages spéculatifs. (Exemple : un bâtiment de bureaux vacant situé en zone agricole pourrait, grâce à ces nouvelles règles, être transformé en logements sans attendre une révision du PLU, à condition que les commissions agricoles donnent un avis favorable et que ces logements créés soient occupés en résidence principale.)
Un permis de construire à destinations successives (« permis réversible »)
Autre innovation majeure : la création d’un permis de construire « multi-destinations » (dit aussi permis de construire réversible). Sur le modèle d’un dispositif utilisé pour les constructions des Jeux olympiques de 2024, ce nouveau permis autorisera dès l’origine plusieurs destinations successives pour un même bâtiment. Par exemple, un promoteur pourra déposer un seul permis prévoyant qu’un immeuble de bureaux neuf pourra, dans quelques années, être converti en résidence étudiante ou en logements classiques, selon l’évolution des besoins.
L’avantage pour les investisseurs est une visibilité à long terme et une simplification administrative. Le permis multi-destinations sera valable 20 ans, durant lesquels les changements d’affectation prévus pourront se faire sans besoin de redéposer de nouvelle autorisation, y compris si les règles d’urbanisme ont évolué entre-temps. Le titulaire du permis pourra donc faire évoluer son immeuble du tertiaire vers le résidentiel (ou inversement) en étant juridiquement couvert sur la période. Bien sûr, pour obtenir un tel permis, le projet devra dès le départ démontrer sa conformité aux exigences réglementaires applicables à chacune des destinations envisagées (urbanisme, stationnement, normes techniques, etc.). Le permis mentionnera expressément les différentes destinations autorisées, et la première utilisation effective du bâtiment pourra être précisée si l’autorité le demande. Ensuite, chaque changement de destination devra simplement être notifié au maire au moins trois mois à l’avance (s’il ne nécessite pas de travaux), ou lors du dépôt de l’autorisation de travaux le cas échéant.
Cette formule de permis « évolutif » poursuit un double objectif : rendre les bâtiments plus adaptables dans le temps aux fluctuations du marché (bureaux obsolètes vs. besoins de logement) et éviter la démolition-reconstruction systématique, en encourageant la réversibilité des constructions pour limiter le gaspillage et l’empreinte carbone du secteur immobilier. Un décret d’application est attendu pour préciser les modalités pratiques de ce permis d’un genre nouveau.
Assouplissement des règles de copropriété
Un obstacle fréquemment rencontré dans les projets de transformation de bureaux situés dans des immeubles en copropriété provenait du droit de la copropriété. Jusqu’à présent, convertir un lot privatif à usage de bureaux en logement nécessitait l’unanimité des copropriétaires lorsque ce changement contrevenait à la “destination de l’immeuble” définie par le règlement de copropriété. En pratique, un seul copropriétaire pouvait bloquer la conversion d’un bureau en appartement dans son immeuble. Romain Daubié cite ainsi des cas où “un seul copropriétaire s’opposait au changement d’usage, avec des prétextes relevant plus de l’intérêt privé que collectif”, faisant échouer des opérations pourtant utiles.
La loi du 16 juin 2025 modifie la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété afin de baisser ces seuils de vote. Désormais, la décision de transformer un lot à usage non-habitatif (bureau, cabinet, etc., hors local commercial) en logement pourra être prise à la majorité simple en assemblée générale (majorité de l’article 24 de la loi de 1965), au lieu de l’unanimité requise auparavant. De même, si cette transformation entraîne un changement dans la répartition des charges communes (par exemple passage de charges “bureaux” à “logements”), cette nouvelle répartition pourra être adoptée à la majorité simple, alors qu’elle aurait pu requérir une majorité renforcée auparavant. Cet assouplissement du statut de copropriété devrait fluidifier les projets de réaffectation de lots privatifs en logements, en neutralisant les oppositions abusives d’une minorité de copropriétaires.
Financement des équipements publics et appui aux collectivités
Transformer des bureaux en logements peut nécessiter de nouveaux équipements publics (voirie, réseaux, crèches, écoles…) pour accueillir les habitants supplémentaires. Pour anticiper ce besoin, la loi intègre ces opérations dans le mécanisme du projet urbain partenarial (PUP). Concrètement, il sera possible de conclure une convention de PUP entre le maître d’ouvrage et la collectivité afin de financer tout ou partie des infrastructures induites par la conversion, comme cela existait déjà pour les projets immobiliers neufs. Cette extension du PUP aux projets de transformation garantit que les communes disposeront d’un outil pour négocier la participation financière des investisseurs aux aménagements publics nécessaires.
Le soutien de l’État aux collectivités est également renforcé. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) voit ses missions élargies afin d’aider les communes à identifier des bâtiments transformables et à conduire les études préalables à ces reconversions. Cet accompagnement technique sera particulièrement utile aux collectivités manquant d’ingénierie en matière d’urbanisme et de rénovation.
Sur le plan fiscal, deux mesures incitatives avaient été anticipées dans la loi de finances pour 2025, en parallèle de la loi Daubié. D’une part, les surfaces de bureaux transformées en logements pourront être exonérées de la taxe annuelle sur les bureaux (notamment en Île-de-France) afin d’encourager ces opérations. D’autre part, les communes auront la possibilité de percevoir la taxe d’aménagement sur ces projets de transformation, même sans création de surface nouvelle, de manière à financer les équipements publics rendus nécessaires par l’arrivée de nouveaux habitants. Ces dispositions fiscales complètent le dispositif législatif pour rendre les reconversions plus attractives et soutenables financièrement pour les collectivités locales.
Encourager la création de logements étudiants
Enfin, bien que n’étant pas directement lié à la problématique des bureaux vacants, le législateur a profité de ce texte pour introduire des mesures en faveur du logement étudiant, un autre secteur en tension. La loi autorise notamment les CROUS (Centres régionaux des œuvres universitaires) à recourir aux marchés publics de conception-réalisation pour construire plus rapidement des résidences étudiantes, alors que ce mode contractuel dérogatoire était jusqu’ici réservé à certains projets d’État. En parallèle, le PLU pourra prévoir des bonus de constructibilité (majoration de volume bâti jusqu’à 50%) pour les opérations de résidences universitaires dans les secteurs qu’il délimite. Ces dispositions visent à accélérer la production de logements étudiants, en facilitant la maîtrise d’ouvrage pour les CROUS et en incitant les promoteurs à développer des projets de résidences étudiantes (souvent sous forme de partenariats avec les CROUS ou les collectivités).
Quels impacts pour les investisseurs immobiliers ?
En synthèse, la loi du 16 juin 2025 apporte un cadre juridique assoupli pour les porteurs de projets de reconversion immobilière. Du point de vue des promoteurs, bailleurs et marchands de biens, plusieurs verrous sautent : il devient plus simple d’obtenir un feu vert pour transformer un immeuble de bureaux en logements sans attendre de lourdes modifications de zonage, et sans risquer qu’une minorité de copropriétaires ne fasse capoter le projet en assemblée générale. Le nouveau permis de construire “réversible” offre une flexibilité bienvenue pour anticiper l’évolution de la demande sur un horizon de vingt ans, ce qui peut sécuriser des investissements en permettant des usages alternatifs futurs sans procédure supplémentaire.
Pour autant, les collectivités locales conservent la maîtrise du processus. La dérogation au PLU reste une faculté et non une obligation, laissée à l’appréciation des maires qui pourront l’accorder ou la refuser en fonction de l’intérêt local. Les élus disposent en outre d’outils pour orienter ces transformations vers les besoins qu’ils jugent prioritaires (logements en résidence principale, logements étudiants, etc.). On peut donc s’attendre à ce que la mise en œuvre varie selon les territoires : certaines villes proactives pourront rapidement activer ces leviers, tandis que d’autres resteront plus prudentes.
En conclusion, cette réforme marque une inflexion notable dans la doctrine d’aménagement urbain : elle substitue à la logique d’expansion une approche de transformation du bâti existant, plus réactive, plus sobre et juridiquement mieux outillée. Elle ouvre aux acteurs de l’immobilier – promoteurs, bailleurs, marchands de biens – un cadre plus souple pour requalifier des immeubles tertiaires devenus inadaptés, sans attendre une révision laborieuse du PLU ou une unanimité en copropriété. Reste à mesurer, à l’aune des premiers projets autorisés, si les collectivités locales s’empareront de ces outils avec volontarisme. Pour les investisseurs, le signal est clair : le droit ouvre enfin clairement la voie à la réversibilité immobilière…