La victime d’une pratique anticoncurrentielle peut intenter une action en dommages et intérêts à l’encontre de la filiale de la société mère
Entre 1997 et 1999, la société Sumal a acquis deux camions auprès de la société Mercedez Benz Trucks Espana, filiale de la société Daimler. Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a sanctionné plusieurs fabricants européens de camions, dont Daimler, pour avoir participé à une entente anticoncurrentielle entre 1997 et 2011.
À la suite de cette décision, Sumal a assigné en justice Mercedez Benz Trucks Espana afin d’obtenir des dommages et intérêts au titre du surcoût d’acquisition supporté en raison de l’entente à laquelle avait participé Daimler. La juridiction de première instance a rejeté sa demande au motif que seule Daimler pouvait « être considérée comme l’unique responsable de l’infraction concernée » puisque la décision de la Commission visait seulement la société mère et non Mercedez Benz Trucks Espana. Sumal a interjeté appel de ce jugement et la cour provinciale de Barcelone a décidé de surseoir à statuer et de poser quatre questions préjudicielles à la CJUE.
Par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour si l’article 101 du TFUE permettait à la victime d’une pratique anticoncurrentielle d’introduire une action en dommages et intérêts contre une société filiale de la société mère, cette dernière ayant été sanctionnée par la Commission pour cette pratique, dès lors que les deux sociétés formaient une unité économique. La CJUE a rappelé tout d’abord que toute personne était en droit de demander réparation du préjudice subi en raison d’une pratique interdite par l’article 101 du TFUE. Elle a rappelé également que la notion d’ « entreprise » désignait « une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique [était] constituée de plusieurs personnes physiques ou morales ». La Cour a considéré que l’ « entreprise » entraînait « de plein droit la responsabilité solidaire entre les entités compos[ant] l’unité économique au moment de la commission de l’infraction ». Dès lors, elle a retenu que la victime d’une pratique anticoncurrentielle pouvait engager la responsabilité civile de la filiale de la société mère responsable de cette infraction à condition qu’elle apporte la preuve que ces deux sociétés constituaient une unité économique. La Cour a précisé que cette preuve pouvait résulter de l’existence de « liens économiques, organisationnels et juridiques » entre les deux sociétés, ainsi que d’un « lien concret entre l’activité économique de [la] société filiale et l’objet de l’infraction dont la société mère a été tenue responsable ». En outre, elle a retenu que, dans cette hypothèse, la société filiale devait disposer de ses droits de la défense pour démontrer qu’elle n’appartenait pas à la société mère et qu’en cas d’absence de décision de sanction de la Commission elle était « en droit de contester la réalité même du comportement infractionnel allégué ».
Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour si l’article 101 du TFUE s’opposait à une réglementation nationale prévoyant la possibilité d’imputer la responsabilité d’un comportant d’une société à une autre uniquement dans le cas où la seconde contrôlait la première. Au vu de la réponse aux trois autres questions, la Cour a retenu que l’article 101 s’opposait à une telle réglementation.
CJUE, 6 octobre 2021, affaire C-882/19, SumalSL c/ Mercedes Benz Trucks EspañaSL